#ConfinementJour5 : – Partage de lecture du roman  » 2152  » – Chapitres 10, 11 et 12

© Paul Maraud, 2018, pour le texte. Tous droits réservés.
© Éditions Semis de mots, 2018. Bordeaux – Nouvelle Aquitaine
Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, décembre 2018.
Dépôt légal : décembre 2018

 

 

2152

Première période
« Que la fête commence ! »

Le Comité des sages

 

En attendant de disposer d’un logement définitif, l’équipe du professeur Boz était installée dans un appartement tout proche de la cellule centrale, dans la cellule numéro trois, appelée aussi la C3.

L’accès à la C3, en dehors des voies classiques de circulation, se faisait par wagon pneumatique. En effet, toutes les cellules étaient reliées entre elles par un réseau de transport en commun complexe, composé de tubes pressurisés : des tuyaux, tantôt souterrains, tantôt aériens qui de gare en gare, permettaient d’assurer une liaison régulière et rapide.

Le métro avait très vite pris le surnom de « bonbon », tant la forme du wagon ressemblait à une grosse dragée colorée. Ces dragées étaient bleues, vertes, roses et jaunes. Toutes étaient avalées de la même manière dans les intestins du réseau, pour suivre leur propre destination. Ce fut donc par le bonbon bleu que nos ingénieurs arrivèrent pour la première fois à la station « Anémone », la plus proche de leur résidence.

— Je crois que cette nuit, je n’aurai pas besoin de berceuse pour m’endormir, soupira Uliana, morte de fatigue. Et vous ?

Tous acquiescèrent, réalisant à quel point la journée avait été riche en émotions…

— Demain, dit Théo Boz, nous rencontrerons le comité des sages. Nous avons rendez-vous vers quinze heures. Tout le monde pourra faire la grasse matinée. Cela nous fera le plus grand bien.

— Qui compose ce comité ? demanda Diego au professeur.

— La planète n’est plus dirigée par un seul politicien, comme autrefois, mais par le « Comité des Sages ». C’est un groupe de sept personnes censées débattre ensemble pour le bien de la terre avant de prendre quelque décision que ce soit.

— Sept personnes pour diriger la terre entière ? s’étonna Tseyang, avouez que ce n’est pas beaucoup ?

— Uniquement pour les questions qui concernent les grandes orientations de la planète. Pour ce qui est de la gestion plus concrète des régions, la terre est divisée en soixante-dix secteurs qui dépendent eux-mêmes de comités régionaux de sages…

Soudain, la sonnette du GPS de Tseyang interrompit leur discussion. Ils étaient arrivés devant leur appartement. Elle inscrivit sur le petit boîtier de la porte le code d’ouverture et chacun rentra dans l’habitation pour choisir sa chambre.

 

Quand, un peu plus tard, Uliana s’enfonça avec délice dans son lit, elle eut, l’éclair d’un instant, le souvenir de son image lorsqu’elle se regardait le matin pour la dernière fois dans le miroir de son ancienne chambre. Elle se voyait s’habiller lentement tout en se demandant comment serait son avenir… Elle réalisait désormais que cet avenir avait commencé aujourd’hui. Elle était dedans. Elle serra son oreiller contre sa joue et sentit une petite larme tiède caresser son visage réchauffé par la douche qu’elle venait de prendre, puis s’endormit sans trop savoir si elle pleurait de tristesse ou de joie.

 

*

 

Le lendemain matin, Jawaad sursauta dans son lit en entendant derrière la cloison de sa chambre de grands bruits sourds et des éclats de rire. Il regarda l’heure. Il était onze heures trente.

Satisfait d’avoir bien dormi, il se leva de bonne humeur et se dirigea vers la pièce voisine. Il frappa à la porte, mais personne ne répondit.

— Qu’est-ce qui se passe ? gloussa-t-il.

Comme personne ne réagissait à son appel, il entrouvrit discrètement la porte et fut surpris de ne voir personne. Il s’avançait vers la fenêtre quand il perçut des ricanements au-dessus de sa tête.

Aussitôt, il regarda en l’air et découvrit Diego et Tseyang accrochés au plafond. Ils l’observaient d’un œil complice. Dans un énorme fou rire, ils lâchèrent prise et tombèrent sur le sommier du lit qui était juste en dessous.

— Ah ! C’est génial ! s’esclaffa Diego.

— Ce n’est pas évident de jouer au lézard, ajouta Tseyang, tout en éclatant de rire.

Jawaad s’empressa d’enfiler sa tunique pour s’associer à leur partie de rigolade et escalada les murs à son tour. Il fut très vite rejoint par Uliana puis par Théo Boz qui ne voulait pas être en reste.

C’est lorsqu’ils se retrouvèrent tous les cinq sur le plafond que l’on sonna à la porte de l’appartement. Ils se regardèrent droit dans les yeux et, dans un rire complice, ils lâchèrent prise en même temps. Le lit qui les accueillit éclata en mille morceaux avec un énorme vacarme. La sonnette devint tout à coup insistante et ils entendirent même frapper à la porte…

— Ça va ? Qu’y a-t-il ? hurla, très inquiet, le professeur Waren qui se tenait derrière.

Ils finirent par ouvrir la porte et Karim Waren découvrit les scientifiques un peu gênés comme des enfants surpris en train de faire des bêtises.

— Comment allez-vous ? questionna-t-il à nouveau, embarrassé à son tour. J’ai entendu un drôle de bruit, alors je me suis dit…

— Tout va bien, rétorqua le professeur Boz d’un ton rassurant. Nous étions déjà au travail à essayer les vertus de nos combinaisons. J’avoue que nous nous sommes laissé quelque peu emporter dans notre euphorie et un de nos lits n’a pas survécu à nos premières expériences… Mon cher Karim, cela faisait longtemps que je ne m’étais pas amusé comme un gamin !

— Ha ! Tant mieux… me voilà rassuré.

 

Après qu’ils aient savouré un délicieux déjeuner à la cantine du secteur, le bonbon les transporta jusqu’à la station « Amla », à l’entrée ouest du QG2. Ils passèrent les différents contrôles nécessaires pour s’introduire dans la cité et se dirigèrent vers le bâtiment du comité des sages.

Une fois devant le portail d’entrée, ils observèrent l’image du « penseur » réalisé par un ancien sculpteur du XIXe siècle, nommé Rodin, qui recouvrait la totalité de la surface. La photo représentait un homme nu assis, accoudé sur son genou gauche, la tête posée sur sa main droite et qui montrait une telle concentration que rien ne semblait pouvoir l’extraire de sa réflexion.

— Joli symbole, ce penseur, dit Théo Boz.

— Oui, un beau gars ! ajouta Uliana en souriant. S’ils sont tous comme ça à l’intérieur…

L’immense porte s’ouvrit et une jeune femme qui parlait avec quatre autres personnes au milieu du hall se retourna à leur arrivée. Elle quitta son groupe pour s’approcher d’eux.

— Bonjour, je me présente, Safiya Armoud, dit-elle avec entrain, face à la petite troupe qui entourait le professeur Boz. Je suis l’une des membres du comité des sages, je vous attendais.

— Enchanté, je suis Théo Boz… et voici également mon équipe : Karim Waren, Tseyang Kimiang, Uliana Karavitz, Jawaad Sounga et Diego Certoles.

— Formidable, continua-t-elle d’un air jovial. J’étais impatiente de faire votre connaissance… L’ensemble du comité se réjouit de vous recevoir. Si vous voulez bien me suivre jusqu’à la coupole… Tout le monde vous attend.

Elle les invita à l’accompagner et, tout en parlant, ils s’engagèrent dans un long couloir éclairé artificiellement, couleur menthe à l’eau.

— En cas de danger, chuchota Karim Waren à l’oreille de Théo Boz, ce couloir comprend sept portes blindées qui se ferment instantanément…

— Ah bon ? reprit le professeur, tout étonné. Voilà un endroit bien protégé !

Au bout de ce passage, ils atteignirent un large vestibule gardé par plusieurs sentinelles qui s’écartèrent discrètement afin de permettre à la sage, Safiya Armoud, d’avancer. Celle-ci présenta sa main face à un écran de contrôle. Une porte s’ouvrit et ils se retrouvèrent dans la fameuse coupole où se réunissait le comité.

— Ouah ! Quelle belle salle ! s’exclama Diego.

Après la semi-obscurité de la zone qui précédait la coupole, le contraste était saisissant. L’intérieur de la salle était très lumineux.

Au centre, un grand rectangle, de près de dix centimètres de large et vingt centimètres de long, tapissait le sol. Il représentait la toile d’un artiste du XXe siècle, Pollock, intitulée « Autumn Rythm ». Cette toile était composée de coulées de peintures. Des filets d’ocre et de beige qui s’entremêlaient sur un fond clair. Entourée d’une moquette noire qui couvrait tout le reste du plancher, elle était particulièrement mise en valeur. Sur cette reproduction était disposée une table en forme de fer à cheval, couleur acajou, dont l’ouverture se trouvait face à l’entrée. Les sages étaient assis autour de cette grande table.

À hauteur d’homme, soixante-dix écrans plasma étaient fixés comme des tableaux tout le long du mur circulaire, lui-même peint en dégradé de gris jusqu’à cinq centimètres de hauteur. Chaque écran était allumé en permanence et permettait un contact direct avec les comités régionaux des soixante-dix secteurs de la planète.

Au-dessus de ce mur périphérique, un écran parabolique impressionnant occupait la totalité de la voûte dont le sommet atteignait facilement vingt centimètres. L’écran retransmettait un lieu sélectionné de la planète, filmé depuis des satellites d’observation qui gravitaient autour de la terre.

L’excellente définition des images et la forme de l’écran donnaient la sensation d’être au cœur de la scène photographiée, tout en créant dans la coupole une ambiance à la fois vivante et spectaculaire.

— Chers amis, je vous présente mes six collègues du comité, lança la sage Safiya Armoud à l’équipe du professeur Boz.

Ils se levèrent un par un, au fur et à mesure que la jeune femme faisait les présentations.

— Anouk Simbad, Vasek Krozek, Betty Falway, Huu Kiong, Peyo Bingo et Zoe Duchemin.

Puis, après un échange de congratulations enthousiastes et une fois le calme revenu, elle reprit la parole avec plus de solennité.

— Cher Professeur Boz, Mesdemoiselles, Messieurs, en qualité de sages, nous tenions à vous remercier au nom de tous les terriens pour votre formidable idée de réduction des humains. La persévérance dont vous avez fait preuve pour mettre en œuvre sa réalisation permet à l’humanité de prendre dès aujourd’hui un cap audacieux. En acceptant notre nouvelle place au sein de la nature dont nous dépendons, nous avons choisi de respecter la planète et d’utiliser enfin nos compétences pour essayer de créer un monde plus pacifique et plus libre. Nous tournons le dos à la concurrence commerciale stérile et aux guerres absurdes, destinées à acquérir des pouvoirs égoïstes. En reconsidérant l’échelle de notre population par rapport à la taille de la planète, nos rêves semblent maintenant infinis. C’est pour ce nouvel espoir désormais plein d’heureuses ambitions que le peuple terrien vous est reconnaissant.

Les sept sages se mirent à applaudir les scientifiques avec énergie puis ils vinrent à nouveau vers eux pour les féliciter. On apporta des coupes de champagne et l’on porta un toast en leur honneur assorti de nombreux vœux à l’humanité tout entière. Sur les soixante-dix écrans de la salle, on apercevait les sourires radieux des convives… ces images étaient diffusées à l’ensemble de la terre.

 

Pourtant, au milieu de cette euphorie, un homme que le professeur ne connaissait pas s’approcha du sage Huu Kiong et lui parla discrètement à l’oreille. Théo Boz pensa que c’était un conseiller et quand il eut fini d’écouter ses propos, le sage qui paraissait troublé, le remercia et alla rejoindre ses confrères pour répéter ce qu’il venait d’entendre.

Tous changèrent de visages en apprenant le message, mais ils se ressaisirent aussitôt pour ne rien montrer devant les caméras. Le sage Huu Kiong traversa lentement l’assemblée et s’approcha alors du professeur avec un sourire feint. Il l’écarta discrètement du groupe par le bras.

Une fois en retrait, il regarda le professeur droit dans les yeux, manifestant une véritable crainte. Il lui dit…

— On vient de m’annoncer une horrible nouvelle !

 

Reprendre des forces

 

Le jour où le père de Mattéo diagnostiqua que l’aile d’Horus était suffisamment consolidée, il décida de l’entraîner progressivement à voler de nouveau. Dès lors, il lui donnait à manger d’une façon plus naturelle en se postant à cinq ou six mètres du perchoir et attendait qu’il vienne chercher sa nourriture dans sa main. Pour cela, il avait confectionné un gant en cuir épais qui recouvrait tout l’avant-bras de Mattéo. Chaque jour, il rallongeait la cordelette d’Horus pour qu’elle corresponde à la distance qui le séparait de Mattéo. Lui aussi reculait toujours plus pour l’obliger à battre des ailes plus longtemps. La mère de Mattéo venait d’apporter quelques morceaux de viande fraîche et regardait la scène d’un œil inquiet…

— Yak yak ! cria Mattéo en s’adressant à Horus, montrant fièrement à ses parents qu’il connaissait le langage des faucons.

Il se tenait bien droit et mettait sa main gantée pleine de nourriture, le plus loin possible de son torse et de son visage comme le lui avait recommandé son père.

Horus tourna soudain la tête et le regarda droit dans les yeux. Il se figea et demeura interdit pendant un long moment. Ils restèrent tous les deux sans bouger.

Horus préférait-il être servi comme un dieu en attendant que Mattéo amène son plat jusqu’à lui ? Ou bien était-il un noble seigneur qui chercherait à lui montrer sa puissance en s’approchant vers sa main pour attraper son repas ?

— Viens Horus ! insista Mattéo… Si tu veux devenir grand et fort, tu dois voler à présent !

Le faucon s’agita et retrouva son instinct. Il se lança à toute vitesse dans sa direction en accompagnant son vol d’un cri court et strident.

— Kek-Kek !

Arrivé presque à son niveau, il ouvrit d’un coup ses ailes pour lui présenter sa magnifique poitrine beige ainsi que son plumage strié de bandes sombres. Il tendit vers l’avant ses pattes jaunes tout en écartant ses doigts armés de couteaux noirs et planta ses serres dans le gant. Entraînée par son élan, la main de Mattéo recula et le jeune garçon faillit perdre l’équilibre. Mais il se rétablit promptement et se mit à pleurer de joie et de fierté tout en le regardant dépecer la viande avec son bec.

 

Une fois rassasié, le rapace repartit vers la grange et se posa sur son bâton, pleinement satisfait. Ensuite, il orienta de nouveau sa tête vers Mattéo et le fixa de son œil perçant.

Il baissa trois fois son crâne pour le remercier de ce repas princier.

 

Un air de Far West

 

Comme par réflexe, Pierre Valorie se reprit en main et rassembla sa petite école, en bon chef d’établissement. Sur la place, près de la fontaine qui était suffisamment éloignée du centre technique, retrouvant son sang-froid, il déclara :

— Ce n’est pas le moment de paniquer. En y réfléchissant, je suis persuadé que le CMM s’apercevra de notre absence et essaiera de prendre contact avec nous. Cela sera peut-être long et ce n’est surtout pas le hasard qui doit guider nos pas… Organisons-nous et gérons au mieux cette attente. Qu’en pensez-vous ?

Les élèves retrouvèrent dans les propos de leur directeur sa clairvoyance habituelle et son optimisme, ce qui les rassura. Fiers d’être mis à contribution, ils s’investirent spontanément dans son projet, tellement ils avaient confiance en lui.

La première remarque vint de Lucas…

— Où allons-nous loger, Monsieur, pendant tout ce temps ?

— Je propose que nous repartions aux Iris, répondit-il… Nous avons là-bas tous nos repères. Ce sera plus facile.

— Nous allons devoir encore marcher toute cette distance ? gémit Pauline… Moi, je suis trop crevée. C’est trop loin !

— En plus, si l’on a besoin de revenir à Torrente pour prendre quelque chose, ce sera compliqué… Vous ne trouvez pas ? renchérit Roméo.

— J’ai une idée ! s’écria Lilou.

Tous se retournèrent vers elle, en se demandant bien à quoi elle pensait.

— On pourrait récupérer les chevaux du centre hippique pour se déplacer. On les connaît bien, on vient ici chaque semaine pour faire de l’équitation.

— Ouais ! T’as raison, Lilou. C’est une super idée ! acquiescèrent-ils en chœur.

— Vous vous sentez capables de prendre soin des chevaux au quotidien ? interrogea Camille Allard. Cela impliquera de les nettoyer, de les nourrir…

— Bien sûr ! tranchèrent-ils, tout excités. Nous savons nous en occuper. Nous avions appris à les soigner pendant les cours…

— Je trouve alors que c’est une bonne suggestion, affirma Camille Allard. Mais encore faut-il que ces chevaux soient toujours par ici. La consigne du CMM était de remettre tous les animaux d’élevage en liberté pour éviter justement qu’ils ne meurent de faim. Sinon, cela aurait pu provoquer des épidémies comme la peste par exemple.

— Très bien, conclut Pierre Valorie. Nous irons donc chercher les chevaux du centre hippique et nous les équiperons pour pouvoir les monter.

Les enfants étaient emballés par cette décision et se regardaient les uns les autres plein d’enthousiasme, comme si un de leurs rêves les plus chers allait se réaliser.

C’est alors que Violette prit la parole…

— Avant que tous les animaux ne s’enfuient, nous pourrions subtiliser des lapins et des poules pour faire notre propre élevage… car sinon qu’allons-nous manger ? proposa-t-elle.

— Effectivement, intervint Jade Toolman, ta remarque est très pertinente. Je crois même que nous devrions commencer par ça. Essayons de rassembler quelques animaux, avant qu’il ne soit trop tard. Nous assurerons ainsi notre survie.

Ils décidèrent de se diviser en deux groupes. Le premier irait vers les deux grandes fermes qui étaient à la sortie ouest de Torrente, tandis que le deuxième groupe partirait vers le nord en direction du centre hippique.

Pierre Valorie et Jade Toolman emmenèrent les filles pour récupérer quelques animaux de basse-cour. Alban Jolibois s’engagea vers le club hippique en compagnie de Camille Allard et des garçons.

— On se donne rendez-vous au niveau des fermes ! déclara Pierre Valorie… Vous nous rejoindrez avec les chevaux pendant que nous essaierons d’attraper quelques bêtes. À tout à l’heure !

 

*

 

Un grand panneau en bois peint surplombait le portail du club sur lequel était inscrit : « l’étalon d’or ». En dessous, une caricature montrait le portrait d’un cheval hilare qui étalait bêtement sa magnifique dentition.

Connaissant bien les lieux, les enfants s’avançaient d’un pas décidé sur le chemin qui conduisait aux hangars, espérant y découvrir les animaux. Mais évidemment, les box des écuries étaient tous ouverts et aucun cheval ne résidait plus dedans.

— Allons voir les champs qui se trouvent derrière ! lança Colin à ses camarades.

L’idée était judicieuse, car ils aperçurent, sous les arbres qui bordaient les prés, la cohorte d’équidés qui savouraient la fraîcheur de l’ombre. Ils s’empressèrent de fermer la clôture pour éviter qu’ils ne s’échappent et s’avancèrent délicatement vers eux.

— Ils se sont tous regroupés pour se rassurer, supposa Colin. Approchons-nous lentement pour ne pas les effrayer !

— Ils sont impressionnants ! ajouta Salem. Je n’en avais jamais vu autant à la fois…

— Attention ! ils nous observent, chuchota Roméo qui était un peu en retrait.

Lorsqu’ils furent à dix mètres d’eux, le cheval le plus noir de la troupe se mit à hennir puis longea la clôture au galop. Ses compagnons le suivirent illico puis s’arrêtèrent à l’autre bout du parc.

— C’est « Banzaï » qui mène le troupeau ! reconnut Colin. Tant qu’ils seront groupés, nous n’arriverons à rien.

Colin était très à l’aise avec les chevaux et ne semblait pas troublé par leurs gabarits malgré sa petite taille. Il s’empressa de récupérer une corde dans la réserve et contourna l’enclos pour s’approcher en douce de l’arrière du troupeau. Sans leur laisser le temps de réagir, il jeta son lasso en direction du plus jeune et parvint à lui attraper l’encolure. Apeuré, l’animal se cabra et Colin profita de ce temps mort pour attacher l’extrémité de sa corde à la barrière qui était devant lui. Bloqué dans son élan, le cheval souffla bruyamment, leva les talons et après quelques soubresauts, finit par s’apaiser.

— Tout doux, tout doux ! murmura-t-il, tout en tirant sur la corde pour réduire la distance qui les séparait.

Suffisamment près, il put lire le nom de l’animal qui était inscrit sur son oreille gauche…

— Du calme « Trésor », répéta-t-il plusieurs fois… du calme Trésor.

Il monta sur la barrière et le caressa au niveau des naseaux. Il sentait le rythme de sa respiration devenir de plus en plus régulier et comprit qu’il avait gagné. Il n’avait plus qu’à le guider jusqu’à l’entrée du pré où l’attendait Alban Jolibois qui lui ouvrit aussitôt le passage. José et Lucas imitèrent leur ami pendant qu’il accompagnait Trésor à son box. C’est ainsi que chacun à leur tour, ils purent ramener les chevaux dans l’écurie.

 

Il ne restait plus que Banzaï à capturer, mais celui-ci semblait décidé à ne pas se laisser faire.

— Nous devons nous mettre tous ensemble pour avoir une chance de le saisir ! suggéra Colin.

— Que chacun vienne avec sa corde… Lucas, Salem et Mademoiselle Allard, approchez-vous de lui lentement… Obligez-le à se diriger vers l’angle de l’enclos ! Roméo et Monsieur Jolibois, postons-nous à cet endroit ! Dès qu’il sera à notre portée, nous lancerons nos cordes pour le fixer aux deux barrières latérales… OK ?

Tous obéirent spontanément aux ordres de Colin qui semblait suffisamment déterminé pour qu’on l’écoute sans discuter. Camille Allard, pourtant peu rassurée, se força à suivre les deux garçons et à remplir la mission qui lui avait été confiée.

Elle espérait que le cheval finirait par se laisser intimider comme les autres.

— Il… Il fonce sur nous ! hurla-t-elle, alors qu’ils étaient au milieu du terrain.

— Filons ! conseilla Salem, sentant le danger.

Le cheval s’élança sur eux, tête haute, comme par provocation. Alors qu’ils rebroussaient chemin, Camille Allard se tordit la cheville en se retournant et tomba par terre. Aussitôt, Colin sauta par-dessus la barrière et se précipita face au cheval. Il criait et gesticulait avec ses bras pour essayer de le détourner de sa course et protéger son professeur. Ils étaient bientôt face à face quand Banzaï dévia subitement de sa trajectoire et obliqua vers la droite.

Dans son élan, le cheval dérapa et se ressaisit de justesse en raclant ses sabots contre le sol. Un nuage de poussière se forma aussitôt autour d’eux et Colin jeta son lasso au hasard dans cette tourmente poudreuse. Par chance, la corde encercla la patte arrière gauche et instinctivement, il tira dessus pour la bloquer. Banzaï, sentant cette nouvelle tension, voulut s’en délivrer et fit une bruyante ruade. Sous le choc, Colin fut projeté à terre et obligé de lâcher prise.

Dans un sifflement aigu, le fil libéré décrivit une grande courbe dans les airs. Il s’entortilla ensuite autour des pattes de l’animal… Banzaï tenta de se dégager de cette corde par des gestes saccadés et nerveux, mais, plus il remuait ses genoux, plus il s’empêtrait dedans. Il finit par tomber juste à côté de Colin.

L’un contre l’autre, ils restèrent sans bouger, à s’observer…

Au bout d’un moment, alors que le cheval se tenait allongé, Colin se risqua à tendre sa main vers lui. Il réussit à toucher son mufle.

— Tu es un beau cheval, Banzaï… dit-il d’une voix tremblante. Maintenant, nous sommes des amis… Nous nous sommes fait peur tous les deux… mais nous savons que nous allons bien nous entendre… Pas vrai ?

Désormais rassuré par l’immobilité du cheval, l’enfant put lui défaire ses liens. Sitôt libéré, il se mit debout sur ses pattes.

— Gentil, Banzaï… gentil, murmura Colin à son oreille… Viens avec moi…

Tous deux s’avancèrent vers Camille Allard qui pleurait encore d’émotion et de crainte.

— Merci beaucoup, Colin, balbutia-t-elle. Je crois que j’ai eu la peur de ma vie ! Tu as fait preuve d’un grand courage et d’une sacrée hardiesse… Je te félicite.

— Je vous conseille de lui faire une petite caresse pour ne pas rester sur cette mauvaise impression. Vous verrez qu’après, vous serez plus sereine.

— Es-tu vraiment sûr ? soupira-t-elle. Il m’effraie toujours, tu sais ?

Colin prit alors la main de son professeur et l’approcha du poitrail de Banzaï avec beaucoup de douceur. Celui-ci se laissa toucher. Elle s’avança jusqu’à lui, toute tremblante, puis l’étreignit en sanglotant. Comme pour s’excuser, le cheval tourna la tête vers son visage et lui lécha la joue avec sa langue râpeuse.

— Berk… ce n’est pas très agréable ! rigola-t-elle, soudain ragaillardie, en faisant une énorme grimace.

Tous se mirent à rire et, dans une ambiance plus décontractée, Lucas et Alban Jolibois aidèrent Camille Allard à se déplacer, en la soutenant par les épaules.

 

Une fois à l’écurie, ils rassemblèrent le matériel nécessaire pour équiper les vingt chevaux puis ils partirent au trot rejoindre leurs amis.

 

*

 

Un peu plus tard…

— On aperçoit les fermes ! s’exclama joyeusement Roméo, du haut de son canasson.

— Quelle heure est-il ? s’informa Lucas qui sentait son ventre crier famine.

— Dix-neuf heures, répondit Alban Jolibois. L’après-midi est vite passé… Mais, ce n’est pas un tracteur qui avance sur la route, là-bas ?

— Tout à fait… Les agriculteurs seraient-ils encore ici ?

Dressés sur leurs étriers, ils tendaient le cou en avant pour essayer de voir qui dirigeait le véhicule. En leur for intérieur, ils espéraient que ce serait le propriétaire des lieux. Si d’autres personnes se joignaient à eux, ils seraient sans doute plus costauds pour affronter l’avenir, pensaient-ils.

— Hou ! hou ! s’écriait le conducteur de l’engin qui s’avançait vers eux.

Pierre Valorie stoppa son moteur à leur niveau.

— Bravo ! Vous avez pu rassembler les chevaux… Ce n’était pas trop difficile ? De notre côté, nous avons plein de bêtes entassées dans un enclos… Mais qu’avez-vous ? Vous faites une de ces têtes…

Camille Allard prit la parole…

— Tu dois nous excuser, Pierre. Mais nous avions espéré en voyant le tracteur au loin que d’autres personnes étaient abandonnées comme nous… Nous n’avons toujours pas accepté notre situation.

— Je vous comprends. Nous pensons tous pareil ! répondit-il, en les regardant avec un sourire compatissant… Allez, nous avons la chance d’être ensemble… Ce n’est déjà pas si mal ! Venez, Jade a préparé un bon dîner qui nous fera le plus grand bien.

Il fit demi-tour sur le chemin avec sa machine et enclencha une vitesse pour repartir vers les bâtiments. Aussitôt, les cavaliers le suivirent. Ils furent accueillis triomphalement par les filles qui, à l’avance, se réjouissaient de posséder un cheval. Chacun choisit le sien. Les cinq chevaux restants serviraient pour le portage.

Alors qu’ils avaient fini de les parquer dans le champ d’à côté, Jade Toolman apparut dans la cour avec une grosse casserole et une louche qu’elle frappa l’une contre l’autre pour obtenir un son de cloche.

— À table ! cria-t-elle joyeusement… Ce soir, lapin à la provençale avec des frites !

— Hourra ! s’exclamèrent-ils en se ruant vers la cuisine.

Autour de la grande table en bois, dans cette ambiance festive et chaleureuse, tous étaient convaincus que Pierre Valorie avait raison. Leur chance, c’était d’être ensemble.

— Il est délicieux ce lapin ! lança Salem à la cantonade, la bouche encore pleine et tout huileuse.

— Oui, bravo Madame Toolman ! chantèrent-ils d’une même voix.

Pour la première fois, les élèves virent leur professeur rougir. Ils avaient compris qu’elle avait voulu leur faire plaisir et justement, ce soir, sa bonne cuisine avait réussi à leur remonter le moral… Ils lui en étaient reconnaissants.

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